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Réagir face à une violence qui peut tout emporter

Créteil le 12 janvier 2021

En tant que chrétiens engagés à des titres divers dans les quartiers populaires, nous pensons comme le Pape François que le dialogue est la seule option possible pour endiguer la violence qui risque de nous submerger. Nous avons été interpellés par la violence qui se vit dans certains quartiers populaires de notre département, mais plus largement,

Nous constatons une violence aux multiples visages…

Dans les quartiers populaires comme l’attaque au mortier du commissariat de police de Champigny par un certain nombre de jeunes, ou les affrontements entre bandes rivales d’Orly, Villeneuve Le roi et Choisy Le Roi. Par deux fois un bus est investi par plusieurs jeunes pour en agresser un autre. Plusieurs bagarres au couteau ont lieu et un jeune est assassiné par ce qu’il était présent sur les lieux.

Nous constatons que les personnes en cause sont de plus en plus jeunes (à partir de 12-13 ans), et que la violence déployée est de plus en plus importante. Parmi les causes possibles de ces faits, nous relevons le marché de la drogue, l’économie parallèle, l’augmentation de la pauvreté, l’inquiétude et l’angoisse créées par la pandémie et le confinement et la déscolarisation des enfants et des jeunes pendant plusieurs mois. Nous sommes témoins de l’inquiétude, voire de la peur des habitants de ces quartiers et des personnes y travaillant. Les associations qui interviennent sur ces quartiers, les gardiens d’immeubles ont peur. Ils ont le sentiment d’être délaissés sur ces quartiers. Ils notent une présence insuffisante des responsables politiques et des responsables religieux pour les soutenir.

L’injustice sociale est aussi source de violence

Nous constatons aussi une augmentation importante de familles dépendant de la solidarité pour satisfaire leurs besoins alimentaires. Nous voyons aussi les difficultés et le besoin de soutien de certaines familles et tout particulièrement des personnes seules vivant avec leurs enfants. Vivre dans ces quartiers est une difficulté supplémentaire dans la recherche d’emploi.

Sur le lieu de travail, la violence est parfois présente également.

« Deux collègues qui s’adoraient se sont battus. L’un des deux s’est retrouvé à l’hôpital. Je me suis retrouvé avec un de mes collègues par terre et en sang. Celui qui a été blessé a mis beaucoup de temps à s’en remettre. Il en faisait trop, toute sa vie était centrée sur son boulot. L’entreprise n’a pas été assez vigilante. Pendant sa période de chômage partiel, il n’allait pas bien. » Dans le domaine du travail, on peut vivre la violence et on ne se soucie pas d’accompagner les collègues. Il faudrait un appui.

« A l’école, ce sont aux enseignants d’intervenir auprès des familles, quelle que soit la situation. Le médecin scolaire est débordé, quand il y a un signalement, il ne peut pas intervenir avant trois mois. On a aucun accompagnement venant de l’Éducation Nationale. On ne sait plus quoi faire. »

Parmi les jeunes, la violence fait aussi partie du quotidien.

La JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) constate que la recherche d’emploi pour les jeunes est un vrai parcours du combattant. Un grand nombre de courrier reste sans réponse. Parfois le dialogue est difficile. Les jeunes ont souvent l’impression de ne pas exister.

Une jeune de la JOC témoigne des difficultés rencontrées par une copine chinoise en période de pandémie du fait qu’elle est chinoise. Il y a eu des appels à agresser les asiatiques. Elle a vécu des échanges violents.

Même l’action dans la société est marquée par la violence

Les manifestations des gilets jaunes et les manifs sur les retraites ont connus beaucoup de violences de la part des « blacks blocs » et des policiers. La peur s’installe et même si l’on pense que manifester notre opposition ou notre colère de façon pacifique est nécessaire, on hésite maintenant à aller en manifestation. La confiance envers les institutions en a pris un sacré coup : l’institution qui est censée nous protéger et protéger nos libertés est remise en cause.

Les propositions des organisations syndicales dans des négociations sont ignorées, un certain nombre de propositions de la convention citoyenne pour le climat sont écartées. La mise à l’écart des « corps intermédiaires » crée de la violence dans les rapports qui deviennent directs entre « le peuple » et les pouvoirs publics. On a l’impression de ne pas être écouté. Il y a une question de démocratie. « Notre vie nous échappe » à tous les niveaux. Une distance se crée entre le pouvoir et les gens. Ne faudrait-il pas davantage faire confiance aux responsables locaux plutôt que tout décider nationalement ?

 

Cette violence suscite déjà actions et réactions….

Nous en sommes témoins :

  • Mise en place et participation au Conseil Local de la Prévoyance et de la Délinquance. Au titre du conseil de quartier, on relate tous les faits de violence en présence d’élus et de la commissaire de police.
  • Rencontre d’associations sur le quartier pour partager autour des agressions entre bande et après la mort d’un jeune. Une lettre est rédigée et est envoyée aux différents maires, aux curés et à l’évêque. Le maire d’une ville nous répond et propose un rendez-vous.
  • A l’école, mise en place d’actions sur les relations garçons-filles par le Conseil Départemental pour que celles-ci soient plus apaisées.
  • Mise en place d’une formation au travail sur la communication non-violente. Dans la relation au public, la communication peut devenir violente : comment apaiser et retrouver du dialogue ?
  • Prendre du temps avec ses collègues après un épisode violent pour faire le point et les accompagner.
  • Soirée sur les violences faites aux femmes organisée en visio à l’initiative de la députée.
  • La lettre écrite au Président par une centaine de maires de toutes tendances pour réclamer 1% du plan de relance pour les quartiers en difficultés. Ils obtiennent satisfaction, mais il reste à vérifier la destination de ces fonds.
  • L’association des « femmes relais » à Champigny qui repose sur six salariés et une soixantaine de bénévoles. Elle reçoit chaque année un millier d’usagers dont 400 à 500 récurrents. Ces médiatrices, qui cumulent des connaissances dans 17 langues étrangères, œuvrent essentiellement à de l’accompagnement administratif, de l’animation pour la communauté éducative locale. Elles travaillent sur la lutte contre les discriminations et démarrent des permanences destinées aux victimes de violences conjugales.

 

Face à cela, ce qui nous paraît important aujourd’hui :

  • La question de la justice sociale

Comme le souligne la Mission ouvrière nationale, « les disparités salariales, la distorsion entre le monde réel des travailleurs et le monde artificiel des actionnaires, l’écart criant entre nos pays et les pays émergents, le profit des grandes sociétés, l’absence de réglementation internationale des droits du travail sont autant de conséquences d’une économie qui n’a pour seul maitre que le profit financier. (…) C’est au nom du profit, ce maître toujours plus exigeant, que sont pillées les ressources de la terre. Pour faciliter ce pillage, des peuples sont anéantis et la planète elle-même, de plus en plus stérilisée, est menacée de destruction. » (Secrétariat national de la Mission ouvrière – Janvier 2020)

C’est pourquoi le Pape François nous rappelle dans La joie de l’Evangile (n° 59) « Tant que ne s’éliminent pas l’exclusion et la disparité sociale, dans la société et entre les peuples, il sera impossible d’éradiquer la violence. »

 

  • La question du sens de la vie :

La violence interpelle chacun d’entre nous et pose la question des moyens que nous prenons pour maîtriser nos pulsions violentes et les transformer en force d’engagement au service d’une vie collective qui soit juste, joyeuse et fraternelle. Comme Saint Jacques nous le conseille : « ….. chacun doit être prompt à écouter, lent à parler, lent à la colère, car la colère de l’homme ne réalise pas ce qui est juste selon Dieu. » (Saint Jacques, 1,19-27)

Il y a violence parce que les gens sont livrés à eux-mêmes sans bien savoir comment vivre leur vie. D’où l’importance de tous les lieux culturels et spirituels qui nous rappellent que l’homme ne vit pas seulement de pain. On n’enlèvera pas la violence en enfermant la religion dans l’intime. Dieu nous invite à faire peuple.

  • Le chemin du dialogue et de la rencontre :

Dans sa dernière encyclique, Fratelli Tutti, le Pape François nous rappelle l’importance du dialogue à tout prix : « Certains essaient de fuir la réalité en se réfugiant dans leurs mondes à part, d’autres l’affrontent en se servant de la violence destructrice. Cependant, « entre l’indifférence égoïste et la protestation violente il y a une option toujours possible : le dialogue. Le dialogue entre les générations, le dialogue dans le peuple, car tous nous sommes peuple, la capacité de donner et de recevoir, en demeurant ouverts à la vérité. Un pays grandit quand dialoguent de façon constructive ses diverses richesses culturelles : la culture populaire, la culture universitaire, la culture des jeunes, la culture artistique et technologique, la culture économique et la culture de la famille, et la culture des médias « . (Fratelli Tutti n° 199)

Il faut développer une culture de la rencontre : les gens ne se rencontrent plus. Dieu est relation et nous sommes des êtres de relations, faits pour aimer et être aimer.

C’est pourquoi la mission ouvrière et les mouvements qui la composent, proposent des lieux de rencontre qui permettent l’écoute et le dialogue. « Faire Peuple« , aujourd’hui est une priorité, notamment dans ce contexte de pandémie. Et comme nous le rappelle la Mission ouvrière nationale :  » Les fameux slogans jocistes de « l’entre eux, par eux, pour eux » ou de « l’évangélisation du semblable par le semblable » ont pour nous un sens fort. L’Évangile ne nous transplante pas dans un autre monde, mais nous apprend à aimer le monde dont nous venons. Aujourd’hui, pour beaucoup, le monde des quartiers difficiles et des banlieues aux populations mélangées, ainsi que le monde des petites villes en déclin, à l’écart des grands centres urbains en expansion, sont caricaturés. Nous savons qu’ils rassemblent un peuple capable de fraternité et de solidarité, de joie de vivre et d’espérance. » (Orientations nationales de la Mission ouvrière – RN 2015) 

                                                                                                          Créteil, le 12 janvier 2021

 

 

+ Michel Santier , Evêque de Créteil

 avec le Conseil diocésain de la Mission Ouvrière